samedi 24 janvier 2009

Les Keys - Key West

La Floride ne meurt pas à Florida City ou Homestead. Comme une phrase qui laisserait galoper l'imaginaire, elle s'achève par des points de suspension: les Keys. Près d'un millier d'îles et d'îlots, parfois de quelques mètres carrés seulement, une route reliant le continent à l'île la plus au sud et bien sûr nombre de ponts, dont le fameux 7 Miles Bridge. Nous passons la nuit au motel "Gilbert's Resort" à Key Largo. Une chambre à 2 grands lits, sommaire mais proprette, une petite terrasse de bois délavé un rien branlante qui donne sur le dock, une table du même bois et 2 fauteuils en plastique qui ont connu des jours meilleurs.

Ce pourrait être un décor à vous donner le blues, mais ça a le charme attendrissant de ces vieilles dames qui évoquent leur beauté d'antan d'un air encore coquin... Quelques pas le long du dock, voilà le Tiki's bar: quelques paillottes sous les palmiers, une serveuse sympatiquement vulgaire, un groupe qui joue des airs des années 70, quelques Américains entre deux âges au ventre proéminent qui sirotent leur Budweiser accoudés au bar, un couple un peu éméché qui tente de danser, c'est l'Amérique populaire et bon enfant...
L'endroit ne figure pas dans le guides et il est difficile à trouver, puisque la route a été détruite par le dernier ouragan et qu'il faut faire un détour pour y arriver. Nous sommes les seuls touristes. Au menu, rien de sophistiqué: crevettes ou poisson du coin, "rack of barbecue ribs" et/ou frites. Un régal.


Le lendemain, après encore 2 heures de route, un panneau annonce "Key West". Et la route bute sur un mur hérissé de drapeaux. De quel côté tourner ? Aucune importance, vous êtes au bout du monde. Après, il n'y a plus que la mer... et Cuba, à 90 km à peine. Par la droite ou par la gauche, vous arriverez au Key West des touristes, percé par Duval Street avec ses restaurants ou boutiques kitsch au coude à coude, son air de vacances perpétuelles, son petit train sur pneus qui sert de bus, ses vélos à louer. La musique sort de toutes les fenêtres, de
toutes les vitrines.
Les vêtements...c'est pour les chiens!





Mais prenez une rue adjacente et vous changez d'univers: vous longez des maisons coloniales bichonnées aux jardins luxuriants,















puis vous débouchez d'un coup sur les coulisses: sur une petite place, des SDF ronflent pendant qu'un autre, assis sur un kayak, tresse des bols et des chapeaux en feuilles de palmiers.


Il y a 200 ans, Key West n'est qu'une île infestée de moustiques sur laquelle vivent quelques pêcheurs. Mais certains se mettent au commerce du sel, une denrée indispensable à l'époque pour la conservation des aliments. Et les eaux du port, relativement profondes, font aussi de Key West une escale idéale et presque obligatoire sur la route des "West Indies" (les Caraïbes). Toutefois, les récifs qui entourent l'île allaient générer un commerce autrement plus lucratif que les taxes portuaires: un coup de vent, une manoeuvre un rien imprécise, et les cargos font naufrage quasi devant votre porte. Il vous suffit de vous asseoir et d'attendre, puis d'aller récupérer les marchandises encore utilisables pour les vendre. La technologie aidant, les navires deviennent plus solides et les instruments de navigation plus perfectionnés: les épaves ne suffisent plus à nourrir leur homme. Key West se lançe dans le commerce de l'éponge puis, avec l'arrivée d'émigrés cubains chassés par la guerre d'indépendance (qui dura 10 ans), dans la fabrication de cigares. Mais cette industrie périclite avec l'arrivée sur le marché de la cigarette. Le boom des années 20 permet de développer le tourisme, mais pas pour longtemps. Voilà la Grande Dépression des années 30,et Key West se déclare en faillite; ses usines ferment, ses habitants partent, ses maisons se vident. Nouveau rebondissement 15 ans plus tard avec "l'or rose" - une nouvelle variété de crevettes très savoureuses. Puis à la fin des années 60, de nombreux hippies un peu artistes, un peu idéalistes et très embrumés par le haschisch et le LSD s'y installent. Ils y sont encore. Peut-être s'adonnent-ils encore à une petite fumette occasionnelle, et leur idéaux n'ont pas changé...
Ernest Hemingway, à qui son ami Dos Passos en a longuement parlé, s'arrête à Key West avec sa jeune épouse à son retour de Paris et tombe amoureux de l'île: "C'est comme vivre à l'autre bout du monde tout en étant sur le dernier orteil de l'Amérique". Il y achète une maison, prend des poissons et pas mal de cuites, que les anciens évoquent avec une nostalgie vaguement coupable. C'est qu'Hemingway est devenu le phare de la ville, et les messieurs raffinés qui vous font visiter sa maison n'évoquent que son génie, gommant ses folies.

Le bar favori d'Hemingway, devenu un piège à touristes...














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